Le défunt doit payer la dot

Article : Le défunt doit payer la dot
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3 septembre 2023

Le défunt doit payer la dot

Au Tchad, l’acte de prendre une femme en mariage est traditionnellement accompagné du versement de la dot. Cette coutume, conçue pour consolider l’union entre deux familles, revêt une signification plurielle. Elle peut être interprétée comme une démonstration d’affection, mais aussi comme un investissement financier et une forme de capital social. Néanmoins, des imprévus peuvent surgir, créant des situations complexes, comme celle que raconte ce récit, où un défunt se retrouve dans l’obligation de régler sa dette envers sa belle-famille.

Photo de Pavel Danilyuk sur Pexels

« Le corps ne bouge pas » dit-il d’une voix rocailleuse. « Il ne bouge pas d’ici » réaffirme la voix avec fermeté… Je soulève légèrement la tête pour identifier la personne en question. Pile à l’instant même, mes yeux se posent sur lui.

C’est un homme d’une soixantaine d’année, vêtu d’un ensemble bleu. Sur sa tête, un chapeau en cuir, exactement comme celui de Jamie Foxx dans le western « Django ». Autour de lui, une femme et deux hommes. Les quatre se tiennent debout devant un cercueil. Je détourne le regard. « Paie la dot de ma fille et pars… tu ne bougeras tant que tu n’as pas payé »… adresse-t-il au mort.

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 « Notre mari… qui va s’occuper de tes enfants »

Un murmure s’empare du lieu. Les interrogations s’enchaînent. « Je pensais qu’ils étaient mariés… ». « Elle n’était que sa concubine depuis tout ce temps …».  « Lui aussi, avec tous les enfants qu’elle lui a faits, il n’a pas pensé un seul instant à verser la dot … ». Les opinions se heurtent les uns aux autres. « Nous devons partir maintenant, il va pleuvoir d’un moment à l’autre », lance le modérateur avant que le vieux ne prenne la parole.

Aussitôt, le modérateur s’empare du micro pour s’excuser auprès de tous avant de dire que le départ est imminent. Au bout de quelque minute, ceux qui sont montés à bord des voitures descendent.  Les moteurs des engins sont coupés. L’attente se prolonge…

Photo de Pavel Danilyuk

Au fond, les trois enfants du défunt et leur mère sont inconsolables. Leur cri d’amertume ne s’entend plus. Dévastée par la douleur, la veuve ne peut rien contre la volonté de ses parents qui réclament sa dot.  Le modérateur reprend le micro et demande aux uns et aux autres de patienter un instant. « Le départ pour le cimetière se fera d’un moment à l’autre… », dit-il en invitant la chorale de continuer à chanter. 

Les pleurs reprennent de plus belle. « Notre mari… qui va s’occuper de tes enfants… tu laisses notre fille à qui ? ». Personne n’ose suggérer qu’on aille enterrer le mort et on verra la suite. Moi, je voudrais bien mais en qualité de qui ?  D’ailleurs, ça sera une cause perdue vu l’intransigeance du vieux.

« Nous acceptons votre demande… »

Un peu loin des regards, la famille du défunt se concerte.  Au bout d’interminables discussions, un groupe d’homme s’approche du cercueil. Debout, l’un d’eux prend la parole et dit à la fin d’une longue introduction pimentée d’excuses : « notre fils, nous envoie vers vous. Il nous charge de vous remettre cette modeste enveloppe en guise de dot de votre fille ». Un cri d’une triste joie est poussé.

A peine l’enveloppe récupérée, le vieux s’est mis à compter les billets de banque qui s’y trouvent.  « Nous acceptons votre demande… tu ne m’as jamais déçu et ce n’est pas aujourd’hui qui tu le feras. Tu as été un bon mari pour ma fille.  Tu as fait de ma fille, une femme respectée, de moi, un grand-père comblé. Aujourd’hui, tu as choisi de me devancer, je te laisse partir en paix », conclu le vieux d’un ton bien différent du début.

Photo par AMISOM

« J’ai été obligé de payer 450 milles francs CFA… »

A la fin de cette phrase, les femmes se hâtent pour monter à bord d’un bus. Sous la menace de la pluie, le cercueil est déposé dans un pickup. Aussitôt, les motocyclistes habillés en t-shirts noirs à l’effigie du défunt prennent la tête du convoi. Le cortège se dirige tristement vers le cimetière.  

Sur place, il se dit beaucoup de choses. On affirme de vive voix que la famille du défunt est chanceuse. Qu’elle est tombée sur une bonne famille, une famille non exigeante et compréhensible.  « Moi, quand, j’ai perdu ma concubine, sa famille m’a fait voir de toutes les couleurs », lance un monsieur de la foule. « J’ai été obligé de payer 450 milles francs CFA avant qu’on ne m’autorise à inhumer ma femme », dit-il. «Elles m’ont dit que j’ai utilisé leur fille et que c’est le moment de payer », ajoute-il avec humour. « La famille du défunt à versé comme avance 120 milles francs. Qu’elle complètera avec le temps », nous informe un homme assit juste derrière nous.

Aussitôt, j’ai compris que les 120 milles remis sont du moins insignifiants.  Et que les enchères pouvaient rapidement monter. Mais pourquoi exiger la dot d’un mort ?  Dans ce pays Sara au sud du pays, l’homme doit impérativement s’acquitter de la dot de sa concubine même si celle-ci est morte. C’est un droit pour la famille de la veuve d’exiger cela.  Elle peut aussi renoncer selon son gré. Bref, moi je me pose une question pourquoi ne pas payer la dot avant qu’il ne soit trop tard ?

A écouter : Pour le meilleur et pour le pire (Partie 1) 

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