Société : le whisky de la mort

Article : Société : le whisky de la mort
Crédit: Nesta Yamgoto
2 février 2022

Société : le whisky de la mort

J’étais en colère, quand j’ai appris la nouvelle. Une colère profonde et inhabituelle. La dernière fois qu’on s’est vus, il était sobre, calme et souriant. Il affichait l’allure d’une personne qui se reconstitue. D’un homme qui veut se donner une nouvelle chance. D’un homme qui combat contre ses addictions. Ses dépendances l’ont conduit à l’hôpital. Et personne, ni même son entourage n’a cru un seul instant qu’il allait s’en sortir. Ceux qui étaient à son chevet, disaient qu’il allait mourir … qu’il ne passera pas cette nuit… Finalement, il a passé quatre semaines en hospitalisation. A sa sortie, il était maigrichon, faible, panel mais debout sur ses jambes.

La lutte

Pour sa « résurrection », ils l’ont surnommé le Phoenix. Et il en rit allègrement. Phoenix ne manquait pas de nous dire qu’il a côtoyé la mort. Qu’il l’a vue. Comment est-elle ?  Le jeune homme de 30 ans, nous répond en souriant : « Je fais le serment de plus jamais boire ». Il le répète autant de fois que nous sommes ensemble.  Il nous jure qu’il ne touchera plus un sachet de Johnny, de Kitoko, de Tire…. (Whisky frelaté en sachet).

Ces whiskies en sachet sont en vogue à N’Djamena. Ils sont vendus à 50 et 100 francs CFA l’unité. Ces whiskies proviennent principalement du Nigeria et du Cameroun voisins. Ils sont plus consommés par des jeunes, des femmes et des personnes âgées pour deux raisons : moins chers et très accessibles. Les points de vente se comptent par centaine dans certaines zones du quartier Kabalaye, Pari-Congo, Moursal, Walia….

Et nous l’avons cru sur parole. Chaque jour, Phoenix faisait tout pour rester sobre. Des jours passaient et il tenait à son pari. Nous qui avons douté de sa sincérité au départ, commençons à croire en sa détermination. On avait dit qu’il replongerait dès qu’il aura quelques pièces de monnaie. Nous nous sommes trompés. Déjà, deux semaines, peut-être trois qu’il n’a pas pris une seule gorgée de whisky.

Whisky frelatés en sachet
Whisky frelatés

C’est fini…

« Ce matin, je ne retrouvais pas mon téléphone. Je me suis mis à le chercher », nous explique la sœur à Phoenix. « Je me disais qui pourrait bien chiper un téléphone qui ne va même pas apporter 5000 francs CFA. C’est à ce moment, que ma cousine est entrée en pleurs à la maison. Elle m’alerta qu’Ali (Phoenix) venait de s’évanouir. Nous avons couru vers les lieux. Quand nous sommes arrivés, Ali vomissait du sang », nous racontait–elle.

« Il m’avait reconnue et s’excusait pour mon téléphone. Il m’avait dit difficilement que c’est lui qui l’avait pris… », conclut-elle en larme.

La suite, nous la connaissons, Phoenix a été évacué d’urgence à l’hôpital. Malheureusement, les médecins n’ont rien pu faire pour le jeune homme. Phoenix est mort. Parti tôt, à la fleur d’âge. Pendant que nous l’inhumions, je me posais certaines questions : est-ce que nous ne sommes pas aussi responsables de sa mort ?  Est-ce qu’il existe un centre de cure au Tchad ? Pourquoi ces whiskies frelatés inondent nos quartiers ? Ne sont-ils pas interdits ?

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