Récit : 100 jours sans lui

Article : Récit : 100 jours sans lui
Crédit: Nesta Yamgoto
28 juillet 2021

Récit : 100 jours sans lui

Pour comprendre, il faut remonter le temps. Nous sommes le 19 avril. Ce matin, je partais au bureau. Pendant que je longeais le couloir, mon voisin a failli me heurter. Il accoure vers la rue. Cela m’a semblé étrange. Il n’est pas du genre à faire commérage. Dehors, presque tout le quartier est là. Chacun voulait que sa voix prédomine celle des autres. L’atmosphère est tendue. Les motards filaient à toute vitesse. Pour moi, il est clair que quelque chose n’allait pas.

« Les rebelles sont à la porte de N’Djamena », « Un coup d’État a été déjoué cette nuit »… Chacun spéculait à sa guise. Je n’y comprenais rien. Mon oncle qui revenait de la ville nous explique que la présidence est quadrillée par des chars d’assaut. Pourquoi ? Lui-même n’en sait rien. La majorité s’est accordée sur la première hypothèse. Moi, je n’en suis pas sûr. Certes, y a eu une incursion des hommes armés au septentrion du pays, mais les voir ce matin à la porte de la capitale, c’est impossible. « Si c’est un coup d’État, la radio nationale n’allait pas émettre, les lignes téléphoniques seront coupées », décrypte une voix de la foule. Son raisonnement me paraissait logique. Pour en avoir le cœur net, j’ai passé des coups de fil. Sur les trois personnes que j’ai eues au téléphone, deux me confirment les dires du premier : « C’est une disposition dissuasive au vu de la proclamation du résultat de l’élection présidentielle ». Quand j’ai relayé cette version à la foule, personne ne m’a réellement cru. 

Le résultat

La nuit. Une consœur et moi, nous sommes arrivés au lieu de la proclamation du résultat de la présidentielle. Sans surprise, le candidat du Mouvement patriotique du salut (Mps), Idriss Deby Itno, remporte l’échéance. De l’hôtel Novotel, nous avons continué à la place de la Nation où le parti fêtait sa victoire. Sur l’estrade, le secrétaire général du parti, Mahamat Zen Bada, chantait le succès de leur candidat. A notre arrivée, nous étions tiqués de voir peu de monde. Nous croyons que le lieu sera débordé. Qu’on aurait du mal à nous faufiler dans la masse pour avoir une place. Mais c’est tout le contraire. Vu la disposition sécuritaire faible, nous avons conclu que l’élu n’allait pas venir.

Subitement, le secrétaire général, Mahamat Zen Bada, clôt la cérémonie. Il demande aux militants de regagner leur domicile. Cela nous a semblé bizarre. Notre sens de journaliste commençait à chercher à avoir la réponse à cette question… Pourquoi la fête a été écourtée ? Finalement, nous avons quitté la place de la Nation comme tout le monde. Moi, j’ai eu à déposer ma consœur chez elle avant de rebrousser chemin.

La mort

Le lendemain, 20 avril. N’Djamena présentait un visage sobre. Les fêtards sont passés rapidement à autre chose. Les chars de combat quadrillent toujours la présidence. Après une petite tournée dans la ville pour constater les dégâts d’hier, j’ai regagné la rédaction. A mon arrivée, mes confrères étaient déjà en conférence de rédaction. Je me suis joint à eux. Et c’était vers la fin de notre réunion que nous étions alertés. Personne d’entre nous ne l’a cru. La nouvelle persistait. Cela nous semblait irréaliste. Nous étions presque tétanisés… La peur a pris le dessus sur notre réactivité de journaliste… Je crois avoir sonné les autres de regagner leur domicile.

Nous avons vidé le lieu. Quand la nouvelle a commencé à faire écho, les gens se hâtaient vers la maison. il y a ceux qui s’arrêtaient pour s’approvisionner de macaronis, de riz, d’huile… La circulation qui était bouchée il y a quelques minutes est complètement déserte. Tout le monde est à la maison. Le temps passe moins vite. Un calme inhabituel gouvernait la ville. Tout le monde attend incessamment quelque chose que chacun ignore. Le soleil a fini par se coucher. Nous avons rompu le ramadan.

L’émotion

Le lendemain, N’Djamena se réveillait un peu. Les habitants vaquaient timidement à leur occupation. Les délégations étrangères affluaient vers N’Djamena pour les obsèques. Le jour des funérailles, je me souviens encore des détails. La place de la nation a été prise d’assaut tôt ce matin par des Tchadiens. Ils étaient là pour rendre un dernier hommage à leur président.

Je me rappelle que sur les tribunes, les femmes étaient inconsolables. Leur tristesse était insoutenable. L’oraison funèbre de la première dame à son défunt mari, les 22 coups de canon ont ému la foule. Les militaires qui ne pleuraient pas d’habitude, verseraient des larmes. Moi, je me tenais debout devant le cercueil drapé aux couleurs nationales : bleu-jaune-rouge. Je lui ai récité Al-Fathia et je me suis souvenu de notre dernière poignée de main. C’était à peine un mois au palais Burkina. A cette conférence, je lui avais demandé s’il rêvait un jour de voir les Sao [équipe nationale] à la phase finale de la coupe d’Afrique des nations. Il avait rétorqué avec un large sourire « c’est tout mon souhait ».  Et voilà, le destin a décidé autrement. Le maréchal est parti, 100 jours aujourd’hui, dans l’au-delà.

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