Au Tchad, les prostituées sont les grandes oubliées de la pandémie

Article : Au Tchad, les prostituées sont les grandes oubliées de la pandémie
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6 juillet 2020

Au Tchad, les prostituées sont les grandes oubliées de la pandémie

J’étais chez Gazelle*, une travailleuse du sexe. Robe rouge vif, moulante, transparente et maquillage soigné, la belle dame m’a reçu avec courtoisie et attirance. Au delà du maquillage flatteur et du charme qu’on croirait artificiel, son visage garde encore les traits d’une beauté naturelle. Je suis installé à l’entrée de sa chambre, une petite pièce d’environ deux mètres carrés. La porte, à moitié fermée, propose un aperçu de l’intérieur de la chambre. L’incommodité gouverne les lieux. Pourquoi ne m’accueille-t-elle pas dans sa chambre, me posais-je la question, assis sur ma chaise. Après avoir noué un pagne sur sa robe taillée sur mesure, Gazelle s’installe en face de moi. À l’instant, j’avais réalisé pourquoi j’étais accueilli dehors. La charmante femme ne veut pas qu’on s’imagine que je suis là pour le sexe.

La précarité

À ma première question, Gazelle ouvre délicatement sa petite bouche et laisse sortir avec beaucoup de finesse les premiers mots. « Vraiment la situation est insoutenable. On arrive à peine à compter deux clients par jour », répond-t-elle, gorge serrée. « Pour nous adapter à la situation, nous avons changé des méthodes. Chaque matin, j’appelle mes clients au téléphone », soutient-elle. C’est le cas aujourd’hui. Sans gêne, elle joint un homme au téléphone. « Chéri, tu viendras me voir ? Je te garantis un bon prix », marchande la trentenaire. De l’autre côté, l’interlocuteur ne semble pas être intéressé par l’offre. Sans succès, elle raccroche.

« Avant, je pouvais facilement compter quatre à cinq clients par jour. Cela me faisait un revenu de 15.000 à 20.000 francs CFA. Actuellement, si tu arrives à avoir deux hommes pour 5000 francs, estime-toi très heureuse », évalue Gazelle. L’impact du Covid-19 sur son métier est considérable. De nouveau, elle se mît à composer un autre numéro. Après un court silence, une voix répond. La jeune femme reprend presque le même refrain. « Je te ferai tout… », laisse-t-elle entendre d’une voix excitante. Moi, je suis resté bouche bée pendant leur conversation provocatrice. A l’instant où elle raccroche, j’ai vite compris que la pêche n’a toujours pas été bonne.

« Qui va faire de don à une fille de Mokolo*. Moi, personnellement, je n’ai rien reçu de personne », répond sèchement Gazelle, à ma deuxième question. Subitement, son téléphone se mit à sonner. Elle décroche rapidement l’appel. « Allo » répond-elle d’un ton agréable. L’échange se poursuit tendrement. À chaque phrase de l’interlocuteur, Gazelle rétorque agréablement : « D’accord mon gros bébé, à 10 heures 30… ». Soit dans 13 minutes exactement.

L’interrogation

À peine son appel terminé, la belle m’ordonne de partir. Son insistance me fait comprendre que le monsieur attendu est un client important. Au fond de moi, je voudrais connaitre ce monsieur qui la fait autant planer. Qui est-il ? « C’est un homme d’une bonne famille, marié à deux femmes », me répond-elle, vaguement. Surpris par cette confidence, j’ai encore plus envie de rester. Mais elle ne veut pas prendre le risque de perdre son client pour ma curiosité. « Sans ce monsieur, j’aurais du mal à assurer ma subsistance, payer mon loyer et envoyer un peu d’argent au village », assure-t-elle.

Finalement, je quitte les lieux, à moitié satisfait. Mais une question principale me bouscule. Pourquoi personne n’a songé à sensibiliser ces filles sur le nouveau virus ? Pourquoi n’ont-elles reçu aucune forme d’assistance ? A ces questions, je réponds moi-même.

Peut-être sont-elles immunisées ? Non, ce n’est pas possible ! J’en ris. Peut-être qu’elles ne sont pas des nécessiteuses ? Peut-être que les gens ne veulent pas s’afficher aux côtés des filles de joie. Peut-être ça, oui. Mais pourquoi ? Encore une question de trop. 

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